JC, mon mari, ornithologue avéré et mon plus grand fan et grand supporter du bien-être de mes ruches, découvre sur les murs de son bureau un frelon ... Asiatique (FA), animal qu’il n’avait jamais vu (17/08/20).  
Quelques jours plus tard, voilà qu'un FA se promène dans les plants de framboisiers et dans les jours qui suivent, mes ruches sont attaquées par, désormais notre ennemi, le frelon asiatique. Directement nous essayons de les tuer avec une raquette de tennis. L’opération n’est pas simple, le frelon se cache en vol stationnaire sous les ruches les pattes arrières pendantes. Et soudain, il se positionne proche de la planche d’envol pour essayer de saisir une abeille au décollage. C’est le moment idéal pour frapper avec succès. En cas d’échec, une abeille est capturée et déchiquetée à quelques mètres dans un houx, toujours dans la même zone. Le prédateur découpe les pattes, la tête et l’abdomen pour finalement faire une boulette du thorax et repartir vers son nid. Nous mentionnons les prises sur Observations.be et Vespawatchers sur FB.  Très vite nous sommes contactés par Bernard Demarteau, pompier de Bruxelles et entomologiste passionné, qui a suivi une formation spéciale FA.  Après une visite de nos ruches, il nous fait un bref aperçu de la biologie de l’animal et de la structure du nid. Il devient évident que tuer les frelons est efficace pour calmer la rage de voir nos amies attaquées mais totalement inutile pour une destruction de la colonie estimée à 5000 individus. Bernard nous suggère donc de nous équiper d’un filet à papillons et d’essayer de capturer des frelons, sans se faire piquer et ensuite les relâcher en suivant l’envol pour essayer de repérer le nid par triangulation. Il doit se trouver dans un rayon de 2 km. Dans le même temps, je contacte les apiculteurs de mon quartier pour savoir s’ils rencontrent des attaques similaires. Nous sommes visiblement les seuls. La capture est un travail de patience. Nous observons un frelon +- toutes les heures et tous ne sont pas attrapés. Mon mari ne veut plus aller travailler, il campe tous les après-midi devant mon rucher.  On se fixe un objectif de capturer 3 FA/jour. Nous notons sur une carte les directions prises par les frelons relâchés. Bernard repasse plusieurs fois dans la semaine en prenant sur ses temps de repos. Il nous explique pendant de longs moments, les techniques qu’il a déjà expérimentées. Aucun frelon n’est visible en sa présence. Sans doute les coups de raquette de tennis du début ont tué les frelons venus en éclaireurs, mais surtout je me rends compte que les frelons me voient très bien et refusent l’approche quand nous sommes visibles debout devant nos ruches. Si j’attends assise au pied d’un chêne à 5 m de mes ruches, les attaques sont plus fréquentes. Nous n’avons jamais eu les 15 frelons simultanés attendus par Bernard. Nous avons 7 ruches, un ensemble de 4 et 3 autres à la perpendiculaire. L’ensemble de 4 est attaqué, toujours la même ruche. Nous lançons les frelons pris dans l’heure de la capture. Sinon ils ne volent plus et semblent vaincus. Certains dès l’envol partent se cacher dans un arbre proche, il faut donc une zone ouverte. Les frelons relâchés tournent autour du pot de capture et montent de plus en plus dans le ciel, ils s’orientent manifestement et dès qu’ils sont à 15-20 m de haut, ils prennent une direction. Nous notons cette direction sur une carte, ces frelons sont validés. Nous allons de jardins en jardins pour relâcher les frelons.  Les voisins sont un peu étonnés de notre action mais contents de recevoir un pot de miel après notre venue. Lors d’un lâcher, un FA fera un vol menaçant vers nous et projettera du venin en direction de nos yeux avant de fuir. Il nous rappelle de ne pas baisser la garde et de bien considérer que cet animal est potentiellement agressif. Nous avons clairement une direction avec une ouverture de 90°. Je commande deux pièges « chinois » qui ressemblent à des lanternes que je place à côté de mes ruches. Il y a un attractif à base de poisson et ces pièges sont sélectifs. Les abeilles et guêpes pénètrent dans le piège et en ressortent tout aussi vite.
 
Après plusieurs débriefings avec Bernard, nous décidons d’alimenter les frelons capturés pour être plus efficaces. L’animal semble, après la capture, très vite tomber en hypoglycémie et devient inutile. Nous prévoyons une petite goutte de miel dans les pots de capture. Il faut doser, trop de miel et le frelon devient amorphe et ne vole plus bien. Un samedi, nous sommes surmotivés : en 1h d'affût nous capturons 12 frelons. Bernard nous rejoint pour les lancer. Notre zone est déjà déplacée de 400 m. Nous sommes à la pépinière de Tervuren, le long de la chaussée de Bruxelles et de la forêt de Soignes. Seuls 5 frelons seront jugés valides, les autres se cachent, refusent le vol.  Les 5 validés remontent vers les 4 Bras de Tervuren, pas tout à fait en phase avec nos marquages précédents. Notre moral est atteint. Et si le nid était dans la forêt… Pendant plusieurs jours, nous allons élargir le périmètre de collectes et de lâchers de FA.  L’objectif est d’avoir des frelons qui prennent la direction opposée aux flèches que nous marquons sur une carte. A ce moment, nous serons certains d’avoir dépassé le nid et la zone sera circonscrite. Nous allons du Club House du Ravenstein au rond-point des rhododendrons à Tervuren, mais les vols sont moins clairs, la météo est très mauvaise, les frelons refusent le vol ou se cachent.  Nous parcourons le triangle de forêt entre la chaussée de Bruxelles et l’avenue de Tervuren. Nous scrutons les feuillus couverts de lierre aux jumelles dans l’espoir de repérer un frelon qui butine. Un ami apiculteur me confirme avoir observé des FA s’abreuvant dans les zones humides de ce bois en mars - avril. Au même moment, d’autres apiculteurs constatent que finalement leurs ruches sont aussi attaquées. Ils se trouvent à 800 m de notre rucher mais dans la direction opposée aux vols de fuite. Il y a peut-être plusieurs nids. Nous décidons de trouver d’autres lieux de capture et nous installons plusieurs pièges français. Lassés de ces attaques et après avoir visionné toutes les recommandations anti frelon sur le net, je place des muselières en plastique. Les deux premiers jours, les abeilles sont agitées, elles font la barbe. Je suis inquiète, avec cette stratégie elles deviennent des proies trop faciles. Après 3 - 4 jours, les abeilles sont habituées et passent sans difficulté cette barrière pour rentrer au bercail. Les frelons semblent désorientés. Ils tournent autour des ruches mais ne font plus de vol stationnaire devant les muselières. Pour la première fois, je sens l’attaque d’un frelon, qui vole clairement vers mon visage, je le prends au filet par réflexe. Les autres attaquent de frelons sont infructueuses, ils font de larges ronds autour de mon rucher et puis disparaissent. En fait, après des attaques manquées, ils se laissent tenter par l’odeur subtile de mon piège à lanterne. Chaque jour, je prends deux ou trois frelons dans ces pièges.
 
Bernard me met en contact avec Karel Schoonvaer, expert dans le combat des FA et me propose d’essayer une autre méthode. Nous allons marquer les frelons avant de les relâcher suivant la même méthode que les reines. L’opération est délicate, le dard se rapproche. Après quelques captures, je maîtrise bien le marquage sans trop de risque. Ensuite, nous mesurerons le temps de recapture. Nouvel échec, JC marque une dizaine de frelons mais aucun ne revient attaquer mes ruches. Seul un frelon se laissera voir après trois jours.  Karel nous transmet une mixture dont il a le secret qui s’avère être un excellent attractif pour les frelons. Les pièges français n’ayant rien donné avec du poisson fumé, tous nos espoirs se reportent sur ce nouveau produit. La saison avance, le risque d’avoir des reines fondatrices quitter le nid augmente. Nous devons essayer d’autres méthodes. Bernard trouve un nid à Overijse, à 500 m du bureau de JC, sans doute le nid du premier frelon. D’autres frelons avaient été signalés dans le coin sur waarnemingen.be. Ce nid sera neutralisé dès le lendemain.
 
Lors des week-ends précédents Bernard, parcourait tout le quartier en quête de lierre en fleurs. Ils sont rares car la plupart des haies sont entretenues et les fleurs coupées. En repassant à la pépinière, Bernard remarque une forte présence de FA sur des camélias en fleurs. Assez vite, une dizaine de frelons sont marqués « point rose » Il observe les frelons et s’aperçoit qu’ils se dirigent vers les 4 Bras. En remontant la chaussée, il trouve un massif de lierre en fleur bourré de frelons européens ainsi que quelques frelons asiatiques. Le voyant s'affairer avec son filet, la voisine lui signale qu’elle a probablement un nid de frelons européens dans sa cheminée car elle ramasse une dizaine de frelons chaque matin dans son salon. Elle ne pouvait pas mieux tomber, Bernard lui indique la procédure pour faire intervenir ses collègues pompiers. Nous décidons de placer des attractifs à la lisière de la forêt en face de cette maison, devant ce petit massif de lierre. Je relève les trois pièges tous les jours sans aucun signe de présence. Celui du Ravenstein a sans doute été bousculé par un sanglier présent depuis quelque temps dans le secteur, attiré par l’odeur du poisson. Après trois jours d’insuccès je remarque que le petit pot d’attractif en lisière du bois est fréquenté par de nombreux frelons européens mais aussi des FA. En fait, nous avons chaque fois placé deux pots avec des attractifs différents pour mesurer l’efficacité des produits. J’essaye de suivre le vol retour des frelons, mais c’est délicat. Les FE sont sur les pots en permanence et très agressifs. Je peux facilement constater qu’ils sont beaucoup plus gros que les FA mais moins vifs que les FA et leurs trajectoires sont plus directes que celles des FA. Ils rossent d’ailleurs systématiquement les FA qui font mine de se poser sur l’appât à côté d’eux. Les deux pots se justifient pleinement sur ce site et multiplient mes chances d’observations.  Suivre le vol est rendu aussi très difficile par la présence de nombreux arbres en bordure de forêt qui gênent la vision. Je suis de retour l’après-midi avec JC, a notre grande surprise, un FA marqué point vert se laisse voir plusieurs fois sur le pot. C’est un des frelons que nous avions marqué à la maison à +- 500 m d’ici, il y a plus de 10 jours. Il est très actif et revient toutes les 4 minutes sur le pot. JC se met sur la chaussée à 30 mètres du pot et je lui signale chaque départ. Nous pouvons suivre cet unique frelon passer au-dessus de la chaussée de Bruxelles et ensuite nous le perdons. Pour la première fois, nous avons clairement un frelon qui fait demi-tour par rapport au premier lancer. Nous sommes surmotivés. Etonnamment, “notre petit vert” revient parfois après 90 secondes. Il semble un peu perdu et doit faire face aux attaques répétées des FE, mais toujours il revient se nourrir et il suce le sucre tant qu’il peut. Il reste trois minutes sur le pot et repart 3-4 minutes. Nous l’observons pendant deux heures faire son petit manège. Sur base de cette observation, Bernard décide de définir un rayon ayant ce pot comme origine orienté vers notre rucher. Il pense que le nid est à maximum 250 m du pot sur base des allers retours du “petit vert”.
 
JC profite du week-end pour explorer tous les lierres du quartier.  Un premier massif en fleurs est repéré avec 3-4 frelons en permanence et ensuite très vite dans un massif sauvage de lierre perse, une trentaine de frelons butinent de fleur en fleur. Nous capturons et marquons une vingtaine de frelons point bleus. Nous parvenons parfois à capturer 3 frelons dans le même filet. Ils sont tous lancés dans un jardin en dévers et prennent presque tous la direction de notre pot origine le long de la forêt qui est à 200m. Les vols forment un angle de 30°. Beaucoup reviennent sur le lierre perse et se font reprendre. Nous sommes tout proches.  Naïvement, nous scrutons la cime des hêtres qui nous entourent. Nous n’osons pas vraiment croire que nous allons trouver ce nid. Sur le site de Vespawatchers de nombreuses trouvailles de nids sont renseignées.
 
Les choses vont s’accélérer.  Le soir même, nous plaçons deux pots dans un jardin à 150m du pot d'origine. Dès le lendemain matin, trois frelons seront marqués, jaune, blanc et rouge. Ils reviendront toutes les 90 secondes de façon très régulière.  Même si la direction d’envol est toujours bonne, le jardin ne permet pas de les suivre. Ensuite, nous décidons de placer deux pots à 50 m du pot origine, dans le jardin même où se trouvait le nid de FE. 4 frelons arrivent après une demi-heure, tous marqués, ils reviennent très vite. J’annonce les envols tandis que JC et Bernard suivent le vol par-dessus la maison en direction du pot d’origine mais aucun ne traverse la chaussée. Bernard a trouvé que le nid est dans un grand hêtre le long de la chaussée dans ce jardin.  Mon télémètre indique 28 m de haut. Nous sommes seulement à 50 m du de notre pot origine. Le nid était au-dessus de nous totalement invisible. Je peux contempler le magnifique travail de ces animaux. Un nid de 90 cm de haut et 65 cm de large. Un sentiment étrange m’envahit, la chasse est finie, nous avons trouvé le nid, mais quel adversaire formidable. Les pompiers viendront deux jours plus tard neutraliser ce nid. Mais c’est une autre aventure, la neutralisation fut épique tellement le nid était inaccessible et haut. Le lendemain des frelons morts seront trouvés dans les jardins alentours jusqu’à 600m.
 Nos ruches ont directement retrouvé leur calme, plus d’attaque non plus chez deux amis apiculteurs.
 
La quête a duré 45 jours. Depuis la première rencontre, nous avons chassé les frelons chaque jour une à deux heures. Il n’était pas rare de passer 4 heures devant les ruches. Nous avons capturé plus de 120 frelons et relâché près de 80 d’entre eux. Nous en avons marqué une cinquantaine. La direction de la majorité des frelons était en fait juste si on accepte un angle de 30°. Le nid était à moins de 500 mètres de notre rucher, mais à 1.4 km d’autres apiculteurs. Nous n’avons jamais été piqué, deux fois menacés. Ces animaux sont en fait beaucoup moins agressifs que les frelons européens tant que le nid n’est pas en danger. Les FA étaient fidèles à leur spot de nourrissage mais par contre, ils n’en font pas profiter les autres membres de la colonie. Ils trouvent un spot et s’y tiennent. Les pots très attractifs attiraient les mêmes quelques frelons pendant deux trois jours sans être envahis. Notre pot d’origine, qui était à 50 m du nid, n’était fréquenté que par un seul frelon. Le nid de FA se trouvait à 30 m d’un nid de FE. Seules deux de mes ruches ont été fortement attaquées. Mes voisins apiculteurs ne se rendent pas compte que leurs ruches étaient attaquées. Bernard a encore trouvé à lui seul une dizaine de nids en Région Bruxelloise qui furent tous neutralisés.

La clef de la réussite fut le marquage et la recherche des points chauds comme les massifs de Lierre et de Camélias. Nous avons trouvé le nid encore assez tôt pour éviter que les reines fondatrices ne le quittent. Nous devrons sans doute encore faire face à ce fléau et nos ruches restent menacées. Cependant, l’effort de tous peut contribuer à réduire la pression de ce redoutable prédateur. Nous avons consacré des centaines d’heures à cette recherche, la prochaine fois nous serons plus efficaces.   

JC et Nathalie

Photos : Bernard Demarteau