Un bref rappel historique pour commencer.
En 2004, une femelle du frelon Vespa Velutina Nigrithorax fut accidentellement introduite dans le sud-ouest de la France (Lot et Garonne) dans un lot de poteries importé de Chine. Après s’être implantée sur l’ensemble de la France métropolitaine, cette espèce a commencé la colonisation de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, la Grande Bretagne et la Belgique. Le premier nid y fut repéré en 2016 à Guignies (province de Tournai). En région bruxelloise, la première identification eut lieu à Uccle en 2018. Quelques ruchers bruxellois furent attaqués en 2019, un nombre plus élevé le fut en 2020. Nous allons devoir gérer ce nouveau prédateur apicole.
Quel est son cycle biologique ?
Au printemps, lorsque la température devient stable à environ 12-15°, l’hibernation des fondatrices prend fin. Elles émergent de leur abri et pendant une dizaine de jours, se nourrissent de glucides tout en cherchant un lieu pour établir un premier nid, appelé nid primaire. C’est souvent dans les abris de jardin, un comble, un nichoir à oiseaux, une avancée de toit … qu’on les trouve. Au début, il est gros comme une orange et croît lentement. La fondatrice assure seule toutes les tâches : collecte des fibres de bois et d’eau pour la construction, ponte des œufs, chauffage du couvain, nourriture des larves et protection du nid. C’est une phase critique, car la mortalité naturelle des fondatrices est élevée durant cette période. En effet, comme pour toutes les espèces de la famille des vespidés, les fondatrices sont en compétition pour les sites de nidification. Celles qui ont fondé un nid sont attaquées par d’autres qui essayent de l’usurper. Ces tentatives peuvent être répétitives pour un même nid et entraînent en général la mort d’au moins l’une des deux protagonistes.
D’autre part, plusieurs aléas peuvent mettre un terme à la vie d’une fondatrice : un oiseau insectivore, refroidissement bref et brutal, manque de nourriture… Un nid qui perd sa fondatrice ne génère pas de remplaçante. S’il n’y a pas d’ouvrière le nid ne produit rien. S’il y a des ouvrières, celles-ci pondent des œufs non fécondés qui deviendront des mâles.
En fonction des conditions météorologiques, c’est entre fin mars et mi-mai que les nids primaires sont construits. Il s’écoule environ 60 jours entre l’émergence de la fondatrice et l’arrêt de ses sorties du nid : 10 jours de recherche d’un site de nidification, 40 - 50 jours pour l’émergence des premières ouvrières et 10 jours d’activités extérieures au nid en coopération avec les premières ouvrières.
Quand l’établissement du nid primaire est « réussi », la fondatrice y reste en permanence pour pondre des œufs. Les premières ouvrières prennent en charge toutes les autres activités. L’accroissement de la population est exponentiel. La taille du nid augmente. Si l’espace vient à manquer, quelques ouvrières construisent (en général courant mai-juin) un nid secondaire proche du nid secondaire (180 m maximum). Le nouveau nid se situe très souvent en haut d’un grand arbre bien que ceci ne soit pas une règle absolue. Des observations récentes indiquent un nombre important de nids secondaires installés en dessous de 5m, par exemple dans une haie. La fondatrice migre dans le nouveau nid. Des ouvrières restent dans le nid primaire et prennent soin du couvain jusqu’à son terme. Progressivement les ouvrières intègrent le nid secondaire. Le nid primaire est abandonné.
Le nombre croissant d’ouvrières augmente la quantité de protéines disponible pour alimenter les larves et améliore la thermorégulation du nid. Au fur et à mesure que les conditions deviennent plus favorables, la taille des individus croît et la durée du cycle de couvain diminue pour atteindre 28-30 jours en été.
Vers mi-août, l’élevage des individus sexués commence. Ils émergent mi-septembre et restent au nid une dizaine de jours pendant lesquels ils constituent leurs corps gras.
Ceci est particulièrement important pour la survie durant l’hiver des futures fondatrices aussi appelées gynes. Puis, ils en sortent, les mâles fécondent les femelles qui stockent le sperme dans une spermathèque.
Une femelle peut être fécondée plusieurs fois. Les mâles survivent à l’accouplement. Les individus sexués ne retournent pas au nid ni ne contribuent à son activité.
Progressivement en automne, les conditions météorologiques moins favorables, la raréfaction des sources de nourritures sucrées et protéinées, l’épuisement ou la mort de la fondatrice entraînent la désorganisation sociale de la colonie qui périclite. Le nid se vide, il ne sera pas utilisé l’année suivante.
A Bruxelles, en 2020 plusieurs nids étaient occupés et actifs début novembre. Ils produisaient toujours des gynes. Nous avons observé des mâles dans leur environnement à Schaerbeek près du parc Josaphat. On estime qu’un nid peut produire entre 500 et 1000 fondatrices. Heureusement, peu fonderont un nid viable. Mais, si 1% seulement y arrivent, il y aura entre 5 et 10 nids l’année suivante…
Pourquoi une prolifération aussi importante et rapide ? Quels impacts ?
Les conditions en Europe occidentale sont particulièrement favorables au frelon asiatique : des sources de nourritures glucidiques (sucrées) et protéinées abondantes, une météo assez similaire à son milieu d’origine en Asie, des sites de nidifications nombreux et peu voire pas de prédateur. Cela explique son expansion géographique rapide depuis 2004 et son implantation préférentielle en milieu urbain.
Il utilise toutes les sources de nourritures sucrées ou protéinées disponibles. Il est par exemple présent sur l’étal des bouchers et des poissonniers lors de marchés ouverts. Il capture aussi tous types d’insectes ainsi que des araignées. Cela entraine une pression importante sur l’ensemble de l’entomofaune et particulièrement sur apis mellifera qui constitue quantitativement entre un et deux tiers des protéines qui alimentent ses larves.
La présence d’un nombre important de frelons asiatiques devant une ruche stresse la colonie. Cela entraine la réduction voire l’arrêt de l’activité de butinage. La colonie passe l’automne mais les abeilles d’hiver n’auront pas reçu assez de pollen pour constituer leurs corps gras. Elles meurent en très grand nombre prématurément avant l’arrivée du printemps. La colonie s’éteint durant l’hiver.
D’autre part, en fin de saison un nid peut compter plusieurs centaines voire 2000 ouvrières. Si on s’en approche, cela déclenche très rapidement une réaction agressive. Plusieurs centaines d’ouvrières sortent du nid et attaquent. Des combinaisons faites avec des matériaux spéciaux peuvent empêcher les piqûres. Nos vêtements d’apiculteurs sont totalement inadaptés à cette situation.
Le frelon asiatique représente donc un danger pour nos abeilles, la biodiversité et dans certains cas nous-mêmes. C’est pourquoi la limitation de sa population en neutralisant des nids avant l’apparition des futures fondatrices est importante. Seuls les pompiers sont habilités à détruire un nid. Actuellement leur intervention est gratuite.
Que faire ?
Reconnaître : Apprenez sur internet à faire la différence entre Vespa Velutina Nigrithorax et son cousin européen Vespa Crabro qui cause peu de dégât à nos colonies, même s’il attrape une vielle abeille fatiguée de temps en temps.
Observer : Placer des appâts sucrés (1/3 de grenadine, 1/3 de bière, 1/3 de vin blanc doux) facilement observable à l’abris des intempéries (un appui de fenêtre par exemple) avec un dispositif anti-noyade. Si un frelon asiatique est dans les parages, il viendra s’abreuver à votre bar.
Soyez attentifs lorsque vous visitez vos ruches. L’arrivée du frelon, son positionnement en vol stationnaire devant les ruches, la capture d’une abeille et son départ prennent bien souvent moins de temps que vous n’en avez mis pour lire cette phrase.
Déclarer : il est essentiel de déclarer toute observation sur le site : https://observations.be/species/8807/
Si possible, ajoutez une photo à votre observation afin qu’elle puisse être validée.
Connaitre l’environnement de vos ruches : cartographiez les sites potentiellement attractifs (sources de nourriture sucrées ou protéinées) et facilement observables dans un rayon d’1km autour de vos ruches. Vous gagnerez du temps pour localiser le nid en cas d’attaque de votre rucher.
Nid primaire : Si vous localisez un nid primaire prévenez les pompiers ou moi-même. Laissez le tranquille, ne vous en approchez pas.
Surveiller : Faire un tour régulier des sites attractifs que vous avec repérées pour vérifier si le frelon asiatique y est présent.
Regardez régulièrement le site observations.be pour voir si des observations validées du frelon asiatique ont été faites à proximité de votre rucher.
S’organiser : Groupez-vous avec les apiculteurs proches de vous pour partager les informations. Si une recherche de nid s’avère nécessaire, vous serez plusieurs pour la faire. Vous verrez, c’est très gai !
Préparer le matériel : Procurez-vous un filet à papillons et des muselières. En cas de prédation posez-les devant vos ruches. Elles réduiront le stress des colonies attaquées.
C ’est entre mi-juin et mi-juillet, lors du pic de nos activités apicoles que commence la prédation devant les ruches. Pour lutter efficacement, soyez prêts, l’apiculture c’est aussi anticiper… Vous trouverez des explications imagées dans la conférence que j’ai faite le dimanche 21 février et que vous pouvez voir en suivant ce lien : https://youtu.be/-C-JPx1CcBQ
Dans le rucher fleuri de juin, j’expliquerai la technique pour localiser un nid de frelon asiatique. D’ici là je vous souhaite une bonne préparation de la lutte contre Vespa Velutina Nigrithorax et un excellent démarrage de saison apicole.
Louis.