Un havre de biodiversité pour les abeilles et le plaisir des yeux

Article publié dans Le Rucher Fleuri de juin 2012

N’avez-vous jamais rêvé d’aménager une prairie fleurie pour vos abeilles et pour profiter de plus de nature à proximité de votre habitation ?

Tentés par ces jolis sachets de semences colorés et suggestifs vous annonçant “mélange mellifère” ou “fleurs des champs”, vous avez alors ensemencé une parcelle de votre jardin en savourant à l’avance l’image d’un déferlement de corolles vrombissantes d’abeilles affairées. Si le résultat a été satisfaisant la première année avec une jolie floraison de coquelicots, de bleuets et de cosmos, il vous a fallu sans doute déchanter par la suite car votre parcelle idyllique s’est vite transformée en champ d’orties, d’oseilles et de chardons. Créer un pré fleuri n’implique pas seulement de préparer le sol et de l’ensemencer, il faut aussi prévoir plusieurs années de soins attentifs pour obtenir une communauté de plantes diversifiée et stable.
Comment faire pour arriver à conserver durablement la prairie mellifère de vos rêves ?

1° Analyser la situation existante

Une prairie fleurie comme nous l’entendons ici est une formation herbacée semi-naturelle, fauchée traditionnellement pendant l’été pour produire du foin.

Dans la nature, les communautés de fleurs sauvages les plus variées se trouvent sur des sols pauvres, peu profonds. Commencez donc par voir si votre parcelle correspond à ces critères. Un terrain envahis de graminées bien grasses, d’orties, de rumex, de berces indique un sol riche. Ce n’est pas une situation favorable à votre projet, mais avec de la patience on peut quand même arriver à un résultat très satisfaisant.


2° Préparer le sol

L’objectif premier sera donc d’appauvrir votre sol et de le débarrasser des plantes les plus agressives.

Une manière radicale d’y arriver consiste à décaper la couche superficielle de terre arable et à l’évacuer dans une partie du jardin où un sol fertile est souhaité. À moins de s’équiper d’engins de terrassement, c’est une solution qui ne sera possible que pour de petites surfaces.
Mais ce sera très efficace car, en plus d’appauvrir le sol, vous évacuez une bonne partie de la banque de semences présente dans votre terrain.

Une autre façon de procéder serait de faucher très court la végétation existante, de la ramasser et de l’évacuer, et ensuite de couvrir votre parcelle de matériaux ne laissant pas passer la lumière. Vous pouvez utiliser du plastique noir, des vieux tapis, du carton. Le carton a l’avantage d’être gratuit (pensez aux magasins de meubles) et de pouvoir être composté après usage. Si vous placez vos cartons en automne, vous arriverez au printemps, à l’époque du semis, avec un terrain débarrassé de sa végétation.

Voici donc venu le printemps qui est le bon moment pour envisager le semis de la prairie sous notre climat belge. Il vous faut encore préparer la terre et la rendre “amoureuse” pour recevoir les semences.

L’idée est d’ouvrir le sol, de le rendre meuble en surface afin d’assurer un bon lit de germination pour le semis. Pour des petites surfaces, on pratiquera un bêchage manuel suivi d’un passage au croc afi n d’obtenir une surface finement ameublie qui permettra aux racines des jeunes plantules de pénétrer facilement dans la terre. Au-delà de 100 m², il sera plus raisonnable de travailler le sol avec un motoculteur. Le sol doit être affiné et nivelé comme pour une pelouse.
À ce stade, l’idéal est de pratiquer un faux semis. Il s’agit de laisser germer les graines présentes dans le sol et de détruire ces semis spontanés par un nouveau passage de motoculteur ou de râteau. Le but ici est de réduire la pression de la banque de semences présentes dans le sol afin de donner plus de chance à votre semis de prendre le dessus.


3° Le semis…

Après un ou deux faux semis, vous voilà arrivés vers la fin mai début juin. Il est alors grand temps de semer votre prairie. Le choix des semences retiendra toute votre attention. Pour créer une prairie avec des plantes à fleurs vivaces, qui repoussent donc chaque année après l’hiver, il faut bien sûr choisir un mélange de plantes vivaces. Dans certains de ces mélanges, on trouve parfois une petite proportion de semences de plantes annuelles comme le coquelicot, le bleuet et le chrysanthème des moissons. Ces annuelles dites messicoles, c’est à dire liées aux cultures de céréales étaient communes dans nos campagnes avant l’usage des herbicides. Ces annuelles germent, poussent, fleurissent et produisent une abondance de graines au cours d’une saison de végétation. Mais elles nécessitent pour repousser l’année suivante un sol nu et finement préparé, comme dans un champ de blé. Elles fleuriront donc la première année de l’aménagement de votre prairie, mais n’auront plus les bonnes conditions nécessaires à leur germination une fois que la prairie sera installée sauf accident de terrain (taupinière) ou si vous retournez chaque année une zone à cet effet.

Il existe des mélanges adaptés aux différents types de sol que l’on peut rencontrer : sol caillouteux, sol humide, sol riche… On peut aussi se faire composer un mélange à façon chez certains fournisseurs spécialisés. Les mélanges “prairie fleurie” sont souvent composés de 70% de semences de graminées pour 30% de semences de plantes à fleurs. Les graminées utilisées dans ces mélanges doivent être des espèces peu vigoureuses (Fétuque rouge, pâturin des prés, flouve odorante)

Plantes indigènes On conseille de choisir des mélanges de plantes  indigènes, bien adaptée à notre climat et à notre entomofaune. Mais rien ne vous empêche d’installer également quelques plantes vivaces non  s. (Voir Plantation)

On peut ne semer que des plantes à fleurs, mais cela augmente fort le prix du mélange. Toutefois un mélange sans graminées se sèmera à une densité moins importante. On utilise généralement de 3 à 5 gr/m² de mélange graminées + plantes à fleurs. Si vous ne semez que des fleurs, prévoyez 1 à 2 gr/m². De si petites quantités de graines n’étant pas facile à épandre de façon homogène, il sera plus facile de les mélanger soigneusement à du sable sec.

Après le semis, on ratisse légèrement afin d’enterrer une partie des graines. En effet, certaines graines ont besoin de lumière pour germer et d’autres pas. On roule ensuite le sol avec un rouleau en métal afin de mettre les graines bien en contact avec la terre et de favoriser la remontée capillaire de l’eau, favorable à une bonne germination.

Si votre terrain est assez pauvre et possède déjà une flore intéressante, vous pouvez tenter le sursemis. Il s’agit de faucher court la végétation existante en juillet puis de l’évacuer et de scarifier ou de griffer vigoureusement la pelouse de façon à créer des zones ouvertes. On sème ensuite à raison de 3 gr/m² et on termine par un roulage. Attention, il faudra réaliser le semis avant fin août afin que les semences puissent germer et s’établir avant l’hiver. Au printemps suivant, il faudra tondre 2 ou 3 fois la prairie afin de permettre aux jeunes semis de s’installer.

Au chapitre semis, il faut signaler une plante  fort intéressante, la rhinanthe.  Cette annuelle aux jolies fleurs jaune crème  s’installe très bien dans les prairies de fauche et,  par sa nature hémiparasite, participe la réduction  de la croissance des graminées. La semence  de cette plante ne se trouve apparemment pas  dans le commerce et il faudra la récolter (avec  modération) dans la nature ou se la procurer  auprès de particuliers complaisants. À partir  d’une poignée de semences, la rhinanthe va  rapidement se multiplier et vous pourrez aider  à sa dissémination dans toute votre parcelle  et chez vos amis apiculteurs. Elle est surtout  butinée par les bourdons mais son rôle de  régulation de la croissance des graminées en  fait de toute façon une aide précieuse.


... La plantation

On peut aménager une prairie fleurie en installant des plantes déjà développées. L’avantage est évident : les plantes démarrent tout de suite, couvrent rapidement l’espace et subissent beaucoup moins la concurrence des adventices. Des plantes à fleurs vivaces de prairie se trouvent dans des pépinières spécialisées. On peut également les produire soi-même ; des semis peuvent être réalisés dans des barquettes de semis ou des plateaux multipots. La germination de certaines espèces est délicate et nécessite une alternance de période chaude et de période froide. Il est donc préférable de semer en automne et de protéger pendant l’hiver tout ce qui aura germé. Celles qui n’auront pas germé seront laissées à l’extérieur afin de subir les rigueurs de l’hiver. Elles sortiront normalement au printemps sauf quelques irréductibles qui auront besoin de deux hivers avant de germer. Après germination les jeunes plantules seront repiquées dans des pots plus grands de 9x9 cm par exemple. On peut encore utiliser les autres techniques classiques de multiplication des plantes vivaces à savoir la division et le bouturage au départ de pieds mères. Pour obtenir une couverture relativement rapide du sol, il faut compter de 6 à 8 plantes développées en pots de 9x9 cm par m². La plantation ne sera donc bien souvent réalisable que pour de petites surfaces.

Un bon compromis consiste à combiner le semis de 3 à 5 gr/m² avec une plantation à raison de 1 plante/m².

Une autre technique possible est de semer clair un mélange prairie fleurie composé uniquement de fleurs dans des plateaux multipots. Quand les plantules sont suffisamment développées, on les plante en les espaçant de 25 cm. Vous pouvez donc semer tôt au printemps vos multipots avec un terreau pour semis exempt de semences d’adventices, préparer le sol et faire plusieurs faux semis avant de planter vos jeunes plantes. Et comme elles sont espacées de 25 cm vous pourrez encore faire un ou deux sarclages toujours dans le but de réduire la pression des adventices.

La plantation peut se faire dans une prairie existante, pour renforcer sa diversité. On veillera à dégager une petite surface de 30x30 cm autour de la plante installée pour limiter la compétition avec la végétation existante. On peut planter des plantes indigènes mais aussi d’autres plantes vivaces vigoureuses dont la floraison intervient avant le mois de juillet.


4° L’entretien.

L’entretien d’une jeune prairie fleurie consistera à maximiser l’installation des espèces choisies et à minimiser l’envahissement par les espèces non désirées. Dans les prairies bien établies, les plantes constituent un tapis dense empêchant la banque de semences adventices de germer. Le fauchage et la tonte vont permettre d’une part de favoriser cette densification du couvert végétal et d’autre part d’éliminer une bonne partie des adventices qui ne supportent pas ce régime de tonte (Séneçon, chénopode, renouée…).

Le premier fauchage doit se faire avant que la végétation ne soit trop haute au risque de la voir se coucher au premier orage. La première année, il faudra donc pratiquer ce fauchage dans le courant du mois de juin. Si vous avez opté pour un mélange de vivaces avec une part d’annuelles, ces dernières seront en fleurs et on peut alors avoir tendance à vouloir reporter le premier fauchage. C’est pourquoi il est peut être préférable de ne pas choisir ce type de mélange afi n de pouvoir faucher sans remords le moment voulu.

Pour faucher, le moyen le plus “classe” est la faux traditionnelle et son dzzzzi mélodieux. Plus facile à utiliser, la débroussailleuse à moteur avec une lame à trois dents permet de faucher une vingtaine d’are en une journée. Pour les grandes surfaces, on peut faire appel à un agriculteur proche qui pourra aussi faner et ballotter le foin.

Car il est donc très important de ne pas laisser ce foin sur place. D’abord il gênerait la repousse des plantes installées mais aussi, il faut bien garder en tête cet objectif d’appauvrissement du sol qui permettra à plus de plantes intéressantes de cohabiter.

Si votre sol est riche au départ, ce régime de fauche plus évacuation vous permettra petit à petit de retarder le moment de cette première fauche étant donné que dans un sol moins riche les plantes poussent moins haut et que les orages risquent moins de tout coucher au sol. On pourra alors faucher vers la mi ou la fin août et profiter ainsi plus longuement des floraisons.

Un second fauchage ou plutôt une tonte sera réalisée début octobre. Cette tonte qui pourra être réalisée à la tondeuse à gazon se fera le plus court possible et le produit de la coupe sera de nouveau ramassé et évacué. Cette tonte courte mettra quelques espaces à nu qui seront rapidement colonisé par de nouvelles plantes.

Il est intéressant de garder une bande refuge de +/- 5 % de la surface totale pour la faune présente. Cette zone refuge sera déplacée chaque année afin d’éviter un embroussaillement.

Après plusieurs années de ce régime de fauche et de tonte, vous pourrez installer des plantes de plus en plus délicates et transformer ainsi votre banale pelouse en une prairie à haute valeur biologique, pour la bonne santé de vos abeilles et de votre environnement. fait de toute façon une aide précieuse.

Marc Eylenbosch