Etude exploratoire sur le caractère prédictif d'une caméra thermique pour l'estimation de la santé hivernale des colonies
Lire la documentation sur les périls qui menacent le rucher en hiver ouvre grand la porte à la crise d'angoisse. On pourrait résumer le discours ainsi : "Attention apiculteurs! Vos colonies risquent de manquer de nourriture, les butineuses vont se fatiguer précocement sur les cultures couvre-sols, le développement de maladies est à vos portes, le varroa est en roue libre! Si vous n'êtes pas encore assez inquiets, sachez que les piverts peuvent attaquer vos ruches . Les piverts! Oui parfaitement!". Les conseils sont tout aussi nombreux (sangler, resserrer les colonies lors de la dernière visite, peser les ruches, traiter à l'AO vers Noël) et parfois contradictoires (ventilation totale, surtout pas de ventilation totale, ventilation totale jusqu'à la reprise de la ponte). Face à cette période critique, les apiculteurs confirmés s'affichent confiants. D'une main ils soupèsent leur ruche afin d'en évaluer les réserves, de l'autre, ils balayent tout pessimisme: arrivera ce qui arrivera, des reines sont en réserve.
A côté de ça, la néophyte que je suis court autour de ses ruches comme un poulet sans tête. Est-ce qu'elles ont assez à manger ? Sortent-elles bien faire leur vol de propreté? Comment vont-elles ? Bien sûr, il y a des méthodes pour observer la vie de la colonie sans déranger cette dernière : le "toc toc" contre la paroi, oreille collée à la ruche ("VRRR!"), l'inspection des déchets d'opercules sur les plateaux afin de voir si la colonie est toujours active et déterminer son emplacement dans la matrice. Ce mélange de curiosité et d'inquiétude est également source d'inventivité. Certains sortent les caméras endoscopiques; personnellement, je vais plutôt louer une petite caméra thermique (FLIR C2). Le but de l'opération sera d'évaluer la fiabilité de cet outil pour l'estimation de la santé des colonies. Le terrain d'observation sera constitué de deux ruchers, le mien à Kortenberg (aka The Grand Buzzapest Hotel ) et celui de la SRABE (Rucher Ecole à Woluwe Saint-Pierre). Soit un total de 28 ruches et 6 ruchettes en bois, format Dadant.
Sur ces ruches, tout semble bien se passer.
Me voici donc un petit matin de décembre dans le Brabant Flamand, les pieds dans l'herbe glacée, à voltiger de ruche en ruche, l'appareil au bout des doigts engourdis. Premier constat, celui-ci a deux limites : une calibration constante (la même zone ciblée passe sans arrêt du chaud au froid et inversement) et une fluctuation de la température de la cible de 3,8 à -2,9°, très peu conciliable avec la température extérieure de 1°. Certaines contraintes sont également dues à la nature de l'objet étudié. La réverbération du toit renvoie la chaleur du photographe (mais enlever le toit demanderait d'enlever également l'isolation, l'idée est donc abandonnée), les colonies au centre de la matrice sont donc trop isolées pour être visibles. Passer par en dessous ne servirait à rien, puisque les fonds de ruches (Nicot à Kortenberg ou en bois au Rucher Ecole) font également office d’isolant. Au niveau méthodologique, chaque versant doit être inspecté afin d'avoir une chance de percevoir la tâche de chaleur. Ceci posé, le premier constat est sympathique.
Une colonie localisée très bas dans la matrice (sans doute pour atteindre des réserves entreposées là). Quinze jours plus tard, elles étaient remontées en dessous du couvre-cadre. Contrairement à ce que laisserait penser la taille réduite de la tache de chaleur, il s'agit d'une colonie forte.
Mayday, mayday, une ruche ne répond plus! Le traitement AO, on trouvera cependant une grappe de petite taille, localisée juste en dessous du toit. Cette colonie ne passera sans doute pas l'hiver. Un pain de candi a été mis pour la motiver.
On devine la forme des grappes, on imagine les abeilles serrées les unes contre les autres. Et on a également des sueurs froides pour ces demoiselles, dont la présence dans le bas des cadres (à quelques cm du fond, entièrement ventilé à cette période) semble dangereux ("Mais remontez!! Vous allez attraper froid!!"). Et puis vint le drame : une ruche ne répond plus, quel que soit le versant étudié. Encore très forte en octobre, elle affiche désormais un paquet d'abeilles mortes à ses pieds. Le traitement à l'AO deux semaines plus tard montrera cependant que cette colonie est toujours bien vivante, mais de taille fort réduite, ce qui amoindrit ses chances de passer l'hiver. Le diagnostic de cet effondrement soudain, qui demanderait une inspection méticuleuse des cadres, n'est pas encore connu.
Passons à présent au Rucher Ecole. Premier constat, les grappes sont principalement en haut des matrices, affichant, selon l'emplacement des colonies, une tâche de chaleur plus ou moins prononcée. Ici encore, il faudra bien tourner autour de chaque ruche pour capter la présence des grappes : certaines se situent plutôt à l'arrière, d'autres à l'avant ou sur les côtés, aucune constance n'apparait à ce niveau-là.
Une jolie grappe bien dodue au Rucher Ecole (ruche n°1)
Comme à Kortenberg, certaines ruches ne dégagent aucune chaleur, quel que soit le versant étudié. J'identifie ainsi 8 ruches et une ruchette "déclarées mortes" par l'appareil. Je vous rassure tout de suite, elles ne l'étaient absolument pas. Quand Christine et Yves ont ouvert pour le traitement AO, une seule ruche (la n°5) et une seule ruchette (la bleue) avaient passé le dard à gauche.
Qu'en conclure donc? Principalement que la fiabilité de cet outil est assez limitée. La caméra thermique n'enregistre que le rayonnement infrarouge d'une paroi, qui sera d'autant plus chaude que la grappe d'abeilles en est proche. L'interposition de rayons de cire (éventuellement remplis de nourriture) à faible conductivité thermique, la présence de partitions, du toit et de l'isolant sont donc des paramètres à prendre en considération.
Mis à part la réverbération de la chaleur humaine sur les parties métalliques, la ruche 23 ne dégage aucune chaleur, quel que soit le versant exploré. Pourtant lors du traitement AO, cette colonie se montrera très forte. Dans la ruche 24 (à droite), la grappe est localisée de l'autre côté.
Il est plus facile de percevoir le dégagement de chaleur sur les ruchettes, du fait de leur moindre épaisseur.
Dans ces conditions, une grappe dont le noyau se situe au milieu de la matrice ne dégage aucune chaleur de surface. Il n'en reste pas moins que l'opération est amusante et permet de se faire une idée de l'emplacement des grappes (visibles) au cœur de l'hiver.
Sophie F. Dufresne Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
i Surtout celles en polystyrène
ii Si vous saissisez la référence, c'est que nous avons les mêmes goûts cinématographiques. :)